Entre l’écoute des gens en fin de vie et l’effacement de ces moments pour oublier leur existence, il y a un gouffre. Dans Présence pure, petit livre blanc de soixante-six pages, Christian Bobin nous montre avec tendresse et amour, qu’en nous mettant en harmonie avec la personne blessée, malade, nous ressuscitons à l’essentiel pour partager la grâce.
Christian Bobin nous donne son témoignage de respect et d’amour envers son père muré dans la maladie d’Alzheimer, vivant dans le blanc neutre d’une chambre, partageant ses repas avec d’autres êtres déconnectés du réel. Les gestes ont perdu leur raison d’être et la tête semble inutile. Christian Bobin arrive à nous faire percevoir qu’il reste des étincelles d’amour et qu’il est encore possible de partager avec ces êtres, tels des papillons pris au piège dans un filet et ne pouvant plus en sortir mais battant encore des ailes. Il ne nous parle pas d’inutilité de l’être ni de rejet mais d’un amour plus fort que toutes les déchéances, pour ne vivre que d’essentiel.
Christian Bobin nous incite à revoir nos normes : « Les morts étaient ces gens de bonne santé et de vive jeunesse, répondant à mes questions en invoquant le manque de temps (…). Les morts étaient ces gens murés dans leur surdité professionnelle. Personne ne leur avait appris que soigner c’est aussi (…) reconnaître par le regard et la parole la souveraineté intacte de ceux qui ont tout perdu. ». (p. 12 et 13).
Il sait nous parler de la mort en toute simplicité et beauté, en union avec l’arbre qui vit au rythme des saisons, de son timide bourgeonnement à son épanouissement puis à son dépouillement, tout en restant lumière : « Un arbre ébloui par la neige, la terrible innocence du ciel bleu et le visage de ceux que la mort a commencé » de tutoyer (…). » (p. 38).
L’auteur nous emporte « vers le Très-Pur » (p. 15) car en allant vers les plus fragiles, nous trouvons une richesse inespérée : « Ce qui est blessé en nous demande asile aux plus petites choses de la terre et le trouve. » (p. 16) Christian Bobin nous éclaire d’une lumière venue de l’intérieur et qui nous apporte une joie immense. Le chemin est proche de tous : « donner, encore. » (p. 37).
Il nous est impossible de changer le cours des choses. « Il est impossible de protéger du malheur ceux qu’on aime (…). » (p. 42), mais on peut les accompagner, faire route ensemble, pour une communion profonde.
Les gens ne veulent plus entendre parler de la mort, sans comprendre que par la même occasion, il se condamne « à ne plus entendre parler de la grâce. » (p. 54). Les gens vivent dans un idéal « de beauté et de jeunesse » (p. 54), alors la mort devient un tabou. Pourtant elle est irrémédiablement liée à notre condition humaine de même que la dégradation.
Christian Bobin sait voir au-delà du concret, le beau en tout être, l’amour à donner.
Le temps coule lentement presque imperceptiblement chez ceux qui sont blessés dans leur corps ou leur esprit, comme ces résidents « sans défense aucune devant ce qui leur arrive jour après jour, nuit après nuit. » (p. 65) Nous sommes tous petits et fragiles tels des moineaux en bavardage « qui envahissent l’arbre devant la fenêtre sans lui enlever une paix (…). » (p. 64).
Tel son père qui regarde les fleurs, la pluie au-delà des mots, des pensées, dans un autre univers : « Il a dans les yeux une lumière qui ne doit rien à la maladie et qu’il faudrait être un ange pour déchiffrer. » (p. 66).
Dans ce livre, Christian Bobin nous convie à côtoyer « la présence pure » sans appréhension, celle qui reste quand le cerveau est déconnecté du corps qui devient rouage presque inutile. Il ne nous reste plus qu’à vivre dans le respect de l’être et de l’amour absolu pour garder la lumière.