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Annie Ernaux raconte dans ce livre « je ne suis pas sorti de ma nuit », (il se nomme ainsi car ce sont les derniers mots qu’a écrit sa mère et également les premiers mots de l’œuvre) les derniers mois de sa mère, atteinte de la maladie d’Alzheimer. Ce livre est écrit comme un journal intime avec des dates, il s’étend de décembre 1983 jusqu'au lundi 28 avril 1986, le livre quant à lui ne sortira qu’en 1997.
Il reprend les notes prises par Annie Ernaux pendant ses 3 années.
L'auteur souffre d'avoir placé sa mère et entreprend à chacune de ses visites de peigner la malade, et nous indique d'emblée qu'elle culpabilise d'écrire sur sa mère comme si elle était morte et aussi de la faire revivre jeune, par l'entremise de l’écriture. Cette culpabilité se renforce encore quand elle commence à se débarrasser de ses affaires alors qu'elle est encore vivante parce que c'est un geste que l'on fait seulement quand la personne est décédée.
C'est un peu anticiper sa disparition, même si celle-ci est inévitable. Ne pas avoir pu la garder chez elle est aussi pour elle une source de malaise intime.
Au départ elle l'a effectivement accueillie mais sa démarche n'a pu perdurer, puis ce fut l'hôpital puis la maison de retraite, autant d'étapes dans cette lente descente vers le néant que certes elle accompagne comme elle le peut, avec dévouement, patience, détermination de lui donner à manger, lui couper les ongles ainsi que de la raser (elle ne se résout pas à la changer), comme elle l’a fait avec ses enfants et aussi l’accompagner dans ses propos désordonnés. Elle est devenue la mère de sa propre mère, et, à 45 ans, se sent devenir définitivement adulte.
Des scènes de sa propre enfance lui reviennent en tête. La dégradation de sa mère lui pèse (« A chaque visite, il y a toujours un détail qui me bouleverse ») mais elle préfère encore voir sa mère folle que morte. Quand la mort surviendra, le 7 avril 1986 Annie Ernaux écrira que « toutes les peines vécues n'ont été que des répétitions de celle-là ». Ce livre est écrit comme un journal intime, or dans un journal intime, le narrateur exprime ses sentiments personnels et ici, Annie Ernaux n’exprime pas ses sentiments, c’est donc contradictoire avec la mise en page. Elle finit même par s'habituer à sa déchéance, à ce parcours sans retour dans la « déshumanité ».
En plaçant, par force, sa mère dans ces établissements, elle l'a mise dans un microcosme social reconstitué où là aussi les forts dominent les faibles, le tout dans des odeurs de pisse et de merde, comme elle le dit elle-même. Dans cette ambiance dégradante, c'est peut-être une consolation pour elle de voir sa mère adopter une position de solitaire. Le plus difficile pour l'auteure est sûrement que sa mère a sur elle un effet miroir : non seulement elle se voit en elle comme elle sera elle-même dans sa vieillesse mais cette promiscuité avec sa mère fait remonter à la surface de sa propre mémoire des souvenirs personnels désagréables de sa vie liée à cette femme.
A travers ses propos et ses gestes parfois violents, elle la revoit comme elle l'a toujours connue, une « mauvaise mère », brutale et inflexible dont elle s'occupe néanmoins maintenant avec soin.
Les images délétères dont elle est le témoin dans cet établissement lui en rappellent d'autres de son enfance. C'est un peu comme si la perte de mémoire dont est victime sa mère ravivait la sienne.
Dès lors, le temps qu'elle croyait perdu ou qu'elle avait oublié revient, lui faisant prendre conscience qu'elle s'inscrit dans la chaîne de la vie, dans la fuite inexorable des années et qu'elle est tout simplement mortelle, elle-même usufruitière de sa propre existence.
Elle enrage de la voir de jour en jour devenir une femme sans mémoire, alors que la sienne se peuple de plus en plus de souvenirs de sa vie antérieure sans qu'elle soit capable de maîtriser ce phénomène.
Assister impuissante à cette lente descente vers l’inconscience et la puérilité est désarmant.
Sa culpabilité augmente encore quand elle fait à ses fils la relation de ses visites à sa mère dont les réactions, les remarques portent à rire.
C'est une façon inconsciente peut-être d'exorciser la douleur de ces situations mais elle s'accuse intérieurement de ne pas l'avoir assez aidé « à traverser sa nuit ».
Que dire dès lors de sa volonté de voir finir cette épreuve devant l'incapacité qui est la sienne de ne pouvoir la vaincre que par la mort de cette femme pour qui elle ne peut plus rien que de la regarder se dégrader de jour en jour.
Pourtant quand elle meurt, l'auteur confie « Je la préférais folle que morte », comme si cette habitude de la voir ainsi avancer vers le trépas était finalement plus supportable que l'absence et ce même si on tente de se rassurer en voyant dans cette issue fatale une délivrance, comme si ces visites étaient devenues avec le temps un rituel que rien ne pouvait bousculer.
Le plus étonnant sans doute c'est que cette mère qui jadis avait été violente et qui n'admettait comme seule explication du monde que celle de la religion n'en parle pas, oublie ce qui pour elle aurait pu être une consolation.
A travers un éphéméride haché, elle confie au lecteur « Écrire sur sa mère pose forcément le problème de l'écriture », ou bien encore « Vieillir c'est se décolorer, être transparent », «La mort c'est l'absence de voix par dessus tout », « Exister, c'est être caressé, touché », autant d'aphorismes qui sont rédigés avec une brièveté sèche où je choisis de lire un réel désarroi face à l'inéluctable.
Ces pages sont l'invite à la fois à la réflexion, la constatation abrupte dans le simple domaine de la vie, de son déroulement et surtout de sa fin. Elle pose à nouveau le problème de l'écriture de ce qu'elle voit dans cet établissement, doit-elle faire acte de témoignage ou au contraire s'abstenir, mais l'écriture c'est aussi la vie ! Annie Ernaux a fait de sa propre vie la source de son écriture, délaissant du même coup la fiction qui est le domaine de l'imaginaire.
Même si ici, elle choisit de parler de sa mère et de son histoire, de son vécu, cette démarche me paraît en effet authentique même si, à bien des occasions et pour autant que je puisse en juger, sa façon de s'exprimer repousse les limites de l'intime voire de la pruderie.
Cela donne parfois les confidences qui chez d'autres écrivains restent du domaine du secret.
Pour autant, elle avoue à son lecteur que ces mots même s'ils conservent le souvenir n'en sont pas moins impossibles à formuler parfois et souvent même à relire.
Son style, fluide et agréable à lire, poétique parfois, est ainsi agrémenté de mots crus et tout à fait évocateurs dans leur simplicité et dans leur réalité.
Christian Bobin, nous parle de la maladie d’Alzheimer de son père.
Dans ce poème en prose de registre lyrique, Christian Bobin évoque la maladie d’Alzheimer de son père, où l’auteur nous donne son témoignage de respect et d’amour envers son père muré dans la maladie d’Alzheimer, vivant dans le blanc neutre d’une chambre, partageant ses repas avec d’autres malades déconnectés du réel mais également celle présente chez les autres « patients » de la « maison ».
Il compare l’évolution de la maladie de son père, avec l’évolution d’un arbre présent a la maison de soins de son père, derrière la fenêtre du salon.
« Mon père et cet arbre me conduisent vers les mêmes pensées.
De l’un naufragé dans son esprit, et de l’autre, surpris par l’automne, j’attends et je reçois la même chose » (p127, L 3).
Ce texte contrairement à celui de Annie Ernaux, l’auteur n’exprime pas ses sentiments, il raconte ses visites « tous les deux jours » et rapproche les difficultés de la maladie de son père a cet arbre.
L’auteur nous incite à revoir nos normes : « Les morts étaient ces gens de bonne santé et de vive jeunesse, répondant à mes questions en invoquant le manque de temps (…). Les morts étaient ces gens murés dans leur surdité professionnelle. Personne ne leur avait appris que soigner c’est aussi (…) reconnaître par le regard et la parole la souveraineté intacte de ceux qui ont tout perdu. ». (p. 12 et 13)
Il sait nous parler de la mort en toute simplicité et beauté, en union avec l’arbre qui vit au rythme des saisons, de son timide bourgeonnement à son épanouissement puis à son dépouillement, tout en restant lumière : « Un arbre ébloui par la neige, la terrible innocence du ciel bleu et le visage de ceux que la mort a commencé » de tutoyer (…). » (p. 138, L18).
L’auteur nous emporte « vers le Très-Pur » (p. 128, L17) car en allant vers les plus fragiles, nous trouvons une richesse inespérée : « Ce qui est blessé en nous demande asile aux plus petites choses de la terre et le trouve. » (p. 128, L18) Christian Bobin nous éclaire d’une lumière venue de l’intérieur et qui nous apporte une joie immense.
Le chemin est proche de tous : « donner, encore. » (p. 138,L13).
Il nous est impossible de changer le cours des choses.
« Il est impossible de protéger du malheur ceux qu’on aime (…). » (p. 140,L15) mais on peut les accompagner, faire route ensemble, pour une communion profonde.